Spécial anti (neuro)mythes (1)

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Il y a des croyances qui ont la vie dure, particulièrement en neurosciences. Dans une conférence à l’ENS, la chercheuse italienne Elena Pasquinelli passe en revue une demi-douzaine de ces « neuro-mythes » qui résistent à l’usure et aux réfutations, et tente de comprendre ce qui fait le succès de ces nouveaux kystes culturels. Comme sa conférence dure deux heures, je vous en propose une petite synthèse, agrémentée des recherches que j’ai faites pour compléter le sujet….

Mythe n°1: l’effet Mozart

En 1993, une publication dans Nature faisait état d’un résultat étonnant: les chercheurs y observaient que les étudiants résolvaient (un peu) plus facilement des problèmes de repérage dans l’espace après avoir écouté une sonate de Mozart. L’amélioration portait uniquement sur des tâches spatiales et se dissipait au bout de dix minutes, mais pour le très sérieux NY Times (ici) on venait de démontrer « qu’écouter du Mozart rend plus intelligent ». Au sein de la communauté scientifique, le résultat prêta d’emblée à controverse: tandis que les mêmes chercheurs confortaient leurs résultats avec des enfants d’âge préscolaire, d’autres études échouaient à reproduire le phénomène. En 1999 une méta-analyse portant sur 16 études similaires concluait que l’effet était au mieux insignifiant. Les chercheurs reconnaissent bien volontiers l’effet positif de la musique sur l’humeur et la concentration mais en aucun cas qu’elle puisse améliorer le QI [1]. De nombreuses études sont venues depuis conforter cette idée (la dernière que j’ai trouvée est ici)

Au Japon, Mozart rend les bananes plus sucrées paraît-il. Source

Affaire classée? Pas du tout! Rien ne pouvait plus arrêter « l’effet Mozart  » (1,8 millions de résultats sur Google). On vit fleurir des témoignages de son efficacité sur la production des vaches laitières, la croissance des prématurés, le goût des bananes, la protection des vignes… Jusque dans les stations d’épuration où l’on remarqua que les bactéries se montraient beaucoup plus efficaces lorsqu’on les sonorisait avec « La Flûte Enchantée » [2]! Mais c’est surtout grâce à son effet supposé sur la santé des nourrissons et des enfants qui a fait le grand succès de l’effet Mozart:

Le sujet des enfants est quand même beaucoup plus porteur que celui des étudiants et l’on vit fleurir CD et livres sur le sujet et même des ceintures musicales pour femmes enceintes!

En 1998 le gouverneur de Georgie proposa même d’offrir un CD de musique classique à tous les nouveaux-nés de son Etat. L’histoire veut même qu’il appuya sa démonstration au Parlement en passant l’Hymne à la Joie (de Beethoven!) avant de demander aux députés « Est-ce que vous ne vous sentez pas plus intelligent après ça? ». Le pauvre homme n’avait pas dû écouter suffisamment de Mozart quand il était petit…

L’effet Mozart est à présent un peu passé de mode, mais d’autres candidats sont prêts à prendre la relève, sur des thèmes bien d’actualité. Vivaldi est paraît-il excellent pour améliorer la mémoire, aussi bien des jeunes adultes que des personnes âgées [3]…

Mythe n°2: le cerveau se développe et s’entretient comme un muscle

Tapez « brain training » sur Google et vous obtiendrez pas moins de 200 millions de résultats. Dans la veine du mythe précédent, quantité de méthodes proposent de muscler sa mémoire et d’entraîner son cerveau en lui faisant faire des exercices quotidiens dont la difficulté augmente progressivement. Ces techniques supposent que les capacités générales du cerveau peuvent se développer avec un peu d’entraînement, comme le reste du corps. L’idée est séduisante et intuitive et comme toujours elle contient une part de vérité. A force de faire des sudoku vous serez sûrement de plus en plus rapide pour les terminer et plus vous jouerez à Memory, meilleurs vous serez à ce jeu. Mais aurez-vous amélioré vos performances cérébrales générales ou seulement celles qui concernent le sudoku ou le Memory? Les réponses obtenues jusqu’ici ne sont malheureusement pas très optimistes sur le sujet.

A la fin des années 70, un étudiant américain était devenu, à force d’entraînement, champion toutes catégories en mémorisation des nombres [4]. Après 320 heures de pratique, jour après jour, sa capacité de mémorisation était passée de 7 à 79 nombres. Etait-ce sa mémoire de travail qui s’était améliorée ou simplement sa capacité à imaginer des liens mnémotechniques entre les nombres successifs, comme l’affirme Daniel Tammet, lui-même « autiste savant »? Pour le savoir, les chercheurs lui ont fait passer le même test en remplaçant les chiffres par des lettres. Et l’étudiant n’a été capable de mémoriser que des séries de six lettres maximum. Sa mémoire de travail globale ne s’était donc pas améliorée.

De la même manière on a remarqué que les joueurs d’échec experts sont capables de mémoriser en cinq secondes les positions précises des pièces sur l’échiquier. Meilleure mémoire spatiale ? Pas du tout: lorsqu’on demande à ces mêmes joueurs de mémoriser un échiquier sur lequel les pièces sont disposées au hasard -donc dans des positions irréalisables en cours de partie- leurs performances de mémorisation ne sont pas meilleures que celles des débutants…

L’analogie du cerveau et du muscle est donc trompeuse: devenir expert dans une tâche cérébrale ne suffit pas à développer les capacités générales.de son cerveau. Même les prix Nobel peuvent être à côté de la plaque lorsqu’ils s’expriment sur des sujets dont ils ne sont pas les experts: Maurice Allais (prix Nobel d’économie) lorsqu’il remettait en cause la théorie de la relativité ou James Watson (prix Nobel de médecine) lorsqu’il tenait des propos épouvantablement racistes

Bon, il me reste encore trois neuro-mythes sur la planche, alors je m’arrête là et on verra la suite au prochain épisode (par ici)!

Références
La conférence de Elena Pasquinelli qui a inspiré ce billet
[1] J Bolduc, »href= »http://www.mus.ulaval.ca/reem/REEM_25_Mozart.pdf »>L’effet Mozart, mythe ou réalité (2007)
[2] De l’effet Mozart (Epoch Times, 2013)
[3] L. Riby, The Joy of Spring (Experimental Psychology, 2013)
[4] Ericsson, Chase & Faloon, Acquisition of a memory skill (Science, 1980)

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