Par les temps qui courent

Notre perception du temps qui passe est très zarbie. Si vous sondez un candidat du bac à la sortie d’une épreuve, il vous dira que les quatre heures sont passées comme un éclair. Mais si vous lui demandez de se souvenir de son petit-déjeuner du matin même, ce souvenir lui semblera étrangement lointain. Idem, même quand vous passez des vacances très actives, dans un lieu que vous découvrez pour la première fois, chaque journée filera très vite et pourtant vous avez l’impression qu’il s’est écoulé une éternité depuis votre dernier jour avant ces vacances.

Inversement, si quelqu’un a des journées monotones, angoissées ou pas très intéressantes, chacune lui paraitra interminable sur le moment mais rétrospectivement, il aura l’impression que les semaines filent à grande vitesse. Comme si notre sensation du temps instantanée était toujours à l’inverse de la perception rétrospective. Bizarre non?

La plupart des scientifiques font l’hypothèse d’une horloge interne pour les durées entre une seconde et quelques heures, réglée sur nos rythmes propres -respiration, battements cardiaques ou fréquence des décharges de nos neurones. Pour évaluer une durée, on compterait inconsciemment le nombre de tic-tic produits pendant ce laps de temps. Comme cette horloge interne se laisse facilement dérégler, un petit coup de stress et hop! le temps semble passer soudain très lentement. C’est ce qui se passe quand on éprouve une émotion très forte -lors d’un accident par exemple. La fraction de seconde qu’a duré le choc paraît avoir duré une éternité.

Cette interprétation a au moins le mérite d’expliquer l’impression d’allongement du temps rétrospectivement, mais pas la sensation du temps qui file quand on est concentré sur une activité. Comme nos chercheurs ont eux-mêmes du temps à perdre, ils ont vérifié expérimentalement: on a demandé à des volontaires d’effectuer une tâche nécessitant beaucoup d’attention et d’estimer le temps passé à cette tâche. Comme on peut s’y attendre plus la tâche était absorbante, plus nos volontaires ont sous-évalué le temps qu’ils y ont consacré. Le mystère reste donc entier et les explications que j’ai lues (par exemple l’hypothèse qu’on « oublierait » de compter les tic-tac de l’horloge interne quand on est trop concentré sur quelque chose) ne m’ont pas convaincu. Nous entrons donc ici dans une zone de pure spéculation Xochipillesque. Vous voilà prévenus! Je compte sur vos commentaires éclairés pour faire émulsionner le jus de crâne qui va suivre.

Est-il nécessaire de faire intervenir une horloge interne dont les effets sont parfois contradictoires avec l’expérience? Mon hypothèse est qu’on peut en faire l’économie, en supposant par exemple que la perception de durée est proportionnelle à la diversité des sollicitations extérieures ou des états émotionnels pendant ce laps de temps.

Un exemple: promenons-nous en terrain inconnu. A l’aller on ne connaît pas le chemin, nos sens sont en alerte, attentifs à chaque nouveauté, occupés soit à admirer le paysage soit à ne pas se perdre. Le temps semble très long, à la mesure de la diversité des sollicitations sensorielles. Au retour, le chemin est connu, plus de risque de se perdre. Notre attention se relâche, nos sens sont en paix: la durée perçue semble plus courte. Essayez, vous verrez c’est systématique, à une nuance près: si au retour, vous craignez de ne pas être sur le bon chemin -parce que vous n’êtes pas sûr de le reconnaître, vos sens restent en alerte et le chemin du retour vous paraît beaucoup plus long! De la même manière à mesure que l’on vieillit, les événements de la vie -anniversaires, Noël, vacances, etc. nous surprennent de moins en moins et les années semblent passer de plus en plus vite.

Cette théorie pourrait aussi résoudre le paradoxe des deux perceptions contradictoires du temps qui passe, quand on est absorbé dans une activité. Concentré sur notre tâche, on n’entend rien, on ne voit rien. En toute logique:
– sur le moment notre attention s’est focalisée sur une seule tâche. La « diversité des sollicitations » est alors minimale: le temps passe très vite.
– Une fois l’activité terminée, le souvenir de ce qui l’a précédée rappelle l’immense changement mental par lequel on est passé. Changement automatiquement associé à un laps de temps plus long. Ca marche!

Que se passe-t-il quand on s’ennuie? On est alors « distrait » et notre attention faiblement mais constamment sollicitée par n’importe quoi, même si on n’y accorde aucune importance. Le temps passe (trop) lentement à cause de cette absence de focalisation mentale. Mais rétrospectivement ces sollicitations insignifiantes sont gommées de la mémoire, et le lendemain on a l’impression que cette journée a filé désespérément vite. A moins évidemment qu’on ne garde clairement en mémoire le souvenir que l’attente était interminable, mais là ça devient compliqué!

Allez, puisqu’on en est aux théories à deux balles, je soupçonne les personnes hyperactives de chercher simplement à échapper au temps qui passe. Avec le double effet kiss cool d’ailleurs: d’une part leur hyperactivité les empêche sur l’instant de voir le temps passer. Ensuite, la diversité de leurs activités leur donne rétrospectivement la sensation d’un temps qui s’écoule très lentement… La distraction permanente agit en quelque sorte comme un refuge contre la perspective de la mort. Est-ce un hasard si notre société -où la mort est l’un des derniers tabous- encourage comme jamais cet boulimie de distraction?

Sources et articles sur le sujet:
The Psychology of Time, in Journal of Young Investigator June 2009
Time Perception sur le blog de Edward Willett 2004
Our consciousness of time, du blog Dichotomistic de John Mc Crone

Billets connexes (de loin!):
A quand la non-communication efficace? sur le syndrome de la réactivité instantanée en entreprise.

8 comments for “Par les temps qui courent

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