Neurones, cherchez l’erreur!

Pas facile d’aider son ado à faire ses exercices de maths sans s’énerver quand il se trompe. Pourquoi ai-je tellement plus de mal à garder mon sang-froid avec mon numberOne qu’avec un autre enfant? Je viens peut-être de trouver l’explication dans une récente conférence de Stanislas Dehaene (ce type est génial, depuis le temps que je vous en parle…) sur les mécanismes de jugement de soi, du type “Ai-je confiance en ma réponse?”, “Me suis-je trompé?”,  “Ai-je compris?” etc, bref sur ce que les scientifiques appellent la métacognition.

Ton erreur, c’est mon erreur (et ça m’énerve!)

En 2004, des chercheurs de l’Université de Nijmegen aux Pays-Bas ont monté une expérience assez simple: on équipe un volontaire d’un casque monitorant l’activité électrique à la surface de son crâne et on le place en face d’un écran avec une manette de chaque côté. A un moment donné une flèche apparaît à l’écran et le sujet doit simplement toucher la manette située du côté où pointe la flèche.  Pour corser un peu l’exercice, la flèche apparaît au milieu de plein de signes distracteurs, ce qui induit le participant en erreur. Puis le participant, toujours avec son drôle de casque sur la tête, passe de l’autre côté de la table: là il peut également voir la flèche apparaître (mais sans brouillage) mais cette fois on lui demande simplement d’observer l’expérimentateur faire l’exercice qu’il vient de faire. La comparaison des deux enregistrements crâniens est fascinante (attention dans les graphiques qui suivent l’axe des ordonnées est toujours orienté vers le bas, de sorte qu’une onde négative ressemble à une montagne et une onde positive à une vallée). Première découverte: les aires cérébrales qui commandent le mouvement s’activent de façon assez similaire que le participant fasse l’exercice ou qu’il regarde quelqu’un le faire sans se tromper. Exactement comme quand on baille parce qu’on a vu quelqu’un bailler. Encore un coup des neurones-miroirs dont je vous ai déjà parlé? Pas tout à fait, car si la personne qu’on observe se trompe de côté, le cortex moteur s’active brièvement du côté où elle était censée bouger avant de s’étendre rapidement.

Notre cerveau simule donc automatiquement la réponse correcte, de la même façon qu’on ouvre souvent la bouche quand on nourrit quelqu’un à la cuillère.Autre phénomène fascinant: quand le participant fait l’exercice et qu’il se trompe de côté, une grande onde négative (ERN pour Error Related Negativity) se propage sur son scalp, suivie d’une onde positive. C’est un phénomène connu des neurologues qui ont eu l’idée de regarder si par hasard on la retrouvait quand le sujet observe quelqu’un se tromper. Bonne pioche!

Le même mécanisme neural semble contrôler à la fois nos propres erreurs et celles que l’on observe chez les autres… Rien d’étonnant à ce qu’on s’agace autant des erreurs de ses élèves: c’est comme si on commettait soi-même l’erreur alors qu’on sait pertinemment qu’il ne faut pas la faire! Reste à savoir pourquoi c’est encore plus enrageant quand on enseigne à son propre fils. Ya qu’à demander

On a mesuré l’intensité de cette ERN en situation d’observation, selon que le sujet observe un ami ou quelqu’un qu’il ne connaît pas. On a ainsi pu constater que l’ERN est beaucoup plus intense quand on voit un ami se tromper que lorsque c’est un inconnu. On s’irrite donc plus des erreurs de son fiston chéri que d’un autre enfant. La prochaine fois qu’il me dira “t’énerve pas papa!”, je répondrai à mon numberone que c’est une preuve d’amour! Ces expériences me semblent également intéressantes à deux autres titres: elles concluent le long débat qui semblent unir théorie de l’esprit et introspection, et elles illustrent le fait étrange que le contrôle des erreurs est paradoxalement au moins pour partie un phénomène non-conscient.

Introspection et théorie de l’esprit: même combat?

Chaque fois qu’il est question de profil psychologique, on distingue les intravertis vs les extravertis, ceux qui sont d’un naturel introspectif vs ceux qui sont sensibles aux autres. Notre comportement serait toujours régi soit par par le Moi (en gros les égoïstes), soit par l’Autre (les « sociaux »), soit par le Ça (les rationnels). Bref, introspection et capacité de comprendre les autres sont généralement vues comme des compétences diamétralement opposées. L’expérience des chercheurs de Nijmegen conclut au contraire à l’immense similarité physiologique de ces deux facultés. Quand on y réfléchit, ce résultat est moins étonnant qu’il n’y paraît. Après tout il s’agit dans les deux cas de juger quelqu’un de l’extérieur. Le fait que ce “quelqu’un” soit moi-même ou un autre n’est-il qu’une différence secondaire? Une expérience faite sur de jeunes enfants en fait une démonstration assez parlante. A douze mois, les enfants regardent naturellement dans la même direction qu’un adulte qui tourne la tête qu’il ait ou non un bandeau devant les yeux. Serait-ce parce qu’ils ne savent pas encore qu’un bandeau empêche de voir? Pour le savoir, on leur a mis un bandeau devant les yeux pour qu’ils s’en rendent compte.

Après cet apprentissage, les enfants cessèrent de s’intéresser à la direction de la tête des adultes qui avaient les yeux bandés. Les enfants sont capables d’attribuer immédiatement aux autres ce qu’ils ont appris de leur propre expérience personnelle. Autrement dit, leur compréhension des autres semble forgée directement sur la base de leur propre introspection. Voilà qui semble tout à fait raisonnable… Ce lien étroit entre théorie de l’esprit (ce qu’on suppose que les autres pensent) et métacognition (ce que je sais que je sais) expliquerait aussi pourquoi ces deux facultés se développent simultanément durant le développement. Vers quatre ans l’enfant prend à la fois conscience de ce qu’il sait (et de ce qu’il ne sait pas) et devient capable de dissocier ses connaissances de celles qu’il attribue aux autres.

Dans cette vidéo, ce n’est qu’à partir de quatre ans qu’un enfant sait que des personnes non avertis penseront (à tort) que la boite contient des crayons et que lui-même le croyait aussi avant qu’on ne le détrompe. A trois ans, les enfants sont incapables de telles projections mentales…

Contrôle cognitif et conscience

Pour en revenir à l’expérience des chercheurs néerlandais, l’ERN qui signale une erreur de réponse semble être un phénomène au moins partiellement non conscient. Dans une autre expérience à base de saccades visuels, on demandait au participant d’indiquer à chaque essai s’il avait l’impression d’avoir fait une erreur ou pas. On mesurait en même temps le potentiel électrique à la surface de son crâne (image ci-dessous).

Source ici

Aussi bizarre que ça puisse paraître, quand le sujet se trompait, l’ERN apparaissait même s’il n’avait pas conscience de son erreur (le pic sur le graphe). Autrement dit, le signal de l’ERN était plus fiable que le sujet lui-même pour détecter ses erreurs! En revanche, l’onde positive qui suivait cette ERN n’apparaissait que si le sujet avait eu l’impression de s’être trompé (la courbe en pointillé qui descend continuement). Cette onde positive pourrait bien être le « marqueur physiologique » d’une prise de conscience de l’erreur.Tout ça pour dire que le contrôle des erreurs, notre tour de contrôle intérieure, échappe en partie à notre conscience. Notre corps réagit automatiquement à l’erreur, bien plus rapidement que ne pourrait le faire une réaction consciente. Une expérience très récente a astucieusement mis en évidence ce phénomène bien connu des dactylo. On demandait à des volontaires de taper des mots sur un ordinateur un peu facétieux qui ajoutait ou corrigeait des fautes aléatoirement. Les participants devaient indiquer à chaque mot s’ils avaient l’impression d’avoir fait des fautes de frappe ou pas. Leurs réponses (barres de droite) montrèrent à quel point ils étaient influencés par ce qu’ils voyaient à l’écran. Lorsque l’ordinateur corrigeait ou insérait une faute, ils répondirent correctement dans moins de 20% des cas! Et même lorsqu’ils étaient prévenus des facéties dont l’ordinateur était capable, ils passaient encore à côté de la moitié des erreurs corrigées. Par contre, leur vitesse de frappe, qu’on mesurait en parallèle (graphique de gauche) ralentissait clairement après chaque vraie erreur, quand bien même le sujet n’en avait pas conscience. Et inversement on n’observa aucun ralentissement si le sujet croyait à tort avoir fait une faute. Bref, le ralentissement non-conscient était bien plus performant pour détecter les erreurs que le participant lui-même.

Source: extrait du cours de S Dehaene

Stanislas Dehaene va même plus loin: comme tout processus neural est entaché d’une certaine incertitude, il ne lui semble pas impossible que lui soit associé à chaque fois un processus de niveau supérieur, chargé d’évaluer cette incertitude et de le corriger le cas échéant. Notre cerveau exploiterait ainsi la distribution statistique des taux d’activations de ses propres neurones pour s’auto-évaluer en permanence.  Est-ce qu’avec tout ça j’arriverais à rester calme en expliquant les proba à mon fiston? Pas sûr…

Sources:
Le cours de Stanislas Dehaene (ici et pour les références cités dans le billet)
Van Schie & al, Modulation of activity in medial frontal and motor cortices during error observation (Nature, 2004, pdf)
Nieuwenhuis & al, Error-related brain potentials are differentially related to awareness of response errors (Psychophysiology, 2001, pdf)

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