Mon chat m’aime-t-il?

how dogs think

Tout propriétaire d’un spécimen de la gent Felis catus s’est fatalement posé la question un jour ou l’autre. Bien sûr ma minette vient souvent me réclamer un petit câlin mais à quel point est-ce à ma personne qu’elle est attachée? Et quid de ses ronronnements après que je me suis absenté pendant quelques jours: veulent-ils dire que je lui ai manqué, ou bien simplement qu’elle a été frustrée de voir ses petites habitudes chamboulées? En proie à ces affreux doutes métaphysiques, je me suis plongé dans la littérature scientifique pour tenter de comprendre ce qui se passe dans sa tête…

 

Reconnaît-il ma voix?

Un bar à chat à Tokyo. Source ici

A Tokyo -où l’on peut rassasier son affection pour la gent féline dans des « bars à chats » tarifés à la demi-heure de câlins – des chercheurs ont étudié la réaction de vingt matous lorsqu’ils entendaient leur maître [1]. Pour cela, on leur faisait écouter leur nom prononcé par trois voix inconnues, puis par celle de leur maître. La plupart des animaux a réagi en entendant son nom la première fois, un peu moins la deuxième, encore moins la troisième fois, mais a de nouveau fortement réagi en reconnaissant l’appel de son maître. Ouf! Il reconnaît ma voix, c’est déjà ça… Sauf que les chercheurs ont observé que ces ingrats réagissent uniquement en tournant la tête ou en orientant leurs oreilles. Aucun signe de communication corporelle: aucun mouvement de queue, aucun miaulement, leurs pupilles ne se dilatent pas, ni à l’appel des étrangers ni à celui de leur maître…

Source: Atsuko Saito & Kazutaka Shinozuka 2012

C’est un peu comme si l’appel de leur nom, les chats se disaient juste « tiens, c’est mon nom » ou bien « tiens, la voix de mon maître, qu’est-ce qu’il fait là? » sans que ça leur provoque la moindre émotion et la moindre envie de « répondre » d’une manière ou d’une autre. Comme les chiens, les chats nous comprennent et nous reconnaissent, mais contrairement à eux, ils semblent indifférents à notre communication!

Une petite vidéo résume bien l’expérience:

Pas besoin de réconfort les matous?

Garfield

A défaut d’être sensibles à nos appels, nos amis les chats sont-ils attachés à notre présence? Pour le savoir, le Pr Mills, de l’université britannique de Lincoln, leur a fait passer un test de psychologie classique datant des années 1970. On fait entrer un jeune enfant avec sa maman dans une pièce remplie de jouets que le bambin part rapidement explorer. Un adulte entre alors dans la pièce et distrait le bébé pendant que sa mère sort de la pièce. Lorsque l’enfant réalise que sa maman est partie, il devient inquiet et se désintéresse complètement des jeux. Lorsqu’elle revient, quelques minutes plus tard, il se précipite vers elle, manifestement soulagé. Pour les psychologues, ce comportement est révélateur du rôle sécurisant des parents, dont la présence rassurante est indispensable pour que l’enfant prenne le risque d’aller découvrir son environnement. L’équipe de Mills a reproduit l’expérience avec des chiens et observa les même genre de comportement: dès que le chien se rend compte que son maître n’est plus là, il perd le goût de jouer, attend son retour avec impatience et lui manifeste bruyamment sa joie lorsqu’il revient dans la pièce. Et les chats alors? Jugez-en plutôt sur cette vidéo

Contrairement aux chiens et aux bébés, les matous se fichent complètement de la présence de leur maître et jouent avec n’importe quel humain présent dans la pièce. Faut-il en conclure, comme le dit Mills, que le chat n’entretient avec son maître qu’une relation utilitaire, sans notion de « sécurisation affective » (« secure attachment »)? Pas sûr, car comme le remarque ce blog, un ado dans la même situation, laissé seul avec une console de jeu ne se rendrait même pas compte que sa mère est partie puis revenue. Et lorsqu’ils se sentent en danger -chez le vétérinaire par exemple- pas mal de chats vont bien vite chercher refuge dans les bras de leurs propriétaires et de personne d’autre. Tout ce qu’on peut conclure de cette expérience c’est que le minet est moins dépendant affectivement qu’un chien: il n’a pas besoin de son maître à côté pour vadrouiller la nuit sur les toits. 

Comment les chats adoptèrent les hommes

Garfield 2Cette différence d’attachement entre chats et chiens s’explique sans doute par l’histoire de leur domestication, très différente pour les deux espèces. Les chiens semblent avoir été activement sélectionnés pour aider les hommes à chasser, à garder leurs troupeaux ou à défendre leur territoire, donc pour leur aptitude à interagir et coopérer avec les hommes. La domestication des chats serait le résultat d’une sélection plus naturelle, moins dirigée: dès l’invention de l’agriculture, les chercheurs pensent qu’ils ont été attirés par les implantations humaines, véritables paradis pour les rongeurs. Les minous les moins farouches osèrent se rapprocher au plus près des hommes qui ont sans doute toléré ces animaux peu agressifs qui les débarrassaient des souris. Et ainsi de génération en génération les chats sont devenus de moins en moins farouches, de plus en plus choupinets (un phénomène dont je vous ai déjà parlé ici) et les humains ont fini par les adopter. Il faudrait donc plutôt parler de tolérance mutuelle entre hommes et chats que de domestication. C’est ce qui expliquerait que Raminagrobis ait plus d’autonomie vis-à-vis des humains que Médor… et qu’il ne réponde jamais quand on l’appelle. A l’appui de cette thèse, les chats introduits artificiellement sur des îles comme Tristan da Cunha dans le but d’éradiquer les rats sont rapidement redevenus sauvages. 

Faut-il pour autant en conclure que les chats n’envisagent leur maître que comme des fournisseurs de nourriture? Pas si sûr: il suffit de voir le désarroi d’un chat laissé tout seul dans son appartement. Malgré une gamelle bien remplie, le pauvre minou tourne en rond, miaule à fendre l’âme en attendant son maître et manifeste clairement son plaisir de le voir revenir:

Est-ce son maître qui lui a manqué ou simplement la solitude qui le dérange? Difficile de le savoir… On dit qu’un chat enfermé dans un appartement avec son maître qui vient de mourir, ne met pas plus d’un jour ou deux à le manger tout cru s’il n’a plus rien dans sa gamelle, alors qu’un chien dans la même situation a la décence d’attendre trois ou quatre jours. A dire vrai, cette info me semble hautement suspecte (toujours la même source qui est citée, une mystérieuse conférence tenue en 1992 à la Nouvelle-Orléans dont on ne trouve aucune trace sur le web) mais l’actualité regorge d’histoires semblables (encore une récemment ici  ou ). Il faudrait pouvoir tester rigoureusement cette hypothèse mais on a du mal à recruter des volontaires…

Bref, la nature profonde de l’attachement d’un chat à sa maître résiste encore et toujours à l’investigation scientifique. Tout ce qu’on peut en dire, c’est que les chats sont plus autonomes et moins dépendants affectivement que les chiens. Ils ont quand même besoin de sentir la présence familière des humains autour d’eux… et de petits câlins de temps en temps pour se sentir comblés. Ca tombe bien, c’est ce qui fait aussi le bonheur de leur propriétaire!

Sources
[1] Atsuko Saito & Kazutaka Shinozuka: Vocal recognition of owners by domestic cats (Felis catus) (2012, pdf)

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