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Le rapport Attali suscite les critiques d’à peu près tout le monde, ce qui était prévisible tant le dénigrement est notre sport national préféré. Il faut dire qu’Attali en rajoute dans son côté arrogant et donneur de leçon (cf. son chat sur le Monde). Et puis difficile d’être populaire avec un rapport qui se réclame d’un libéralisme même modéré, dans un pays où le mot est une insulte au bon sens (cf. mon billet).
Mais au fait, pourquoi une initiative pour la croissance, alors que l’on constate tous les jours les méfaits de celle-ci : pollution, changements climatiques, accroissement des inégalités, fractures sociales et finalement désintégration des sociétés postmodernes? Alors que l’économie épuise les ressources naturelles limitées de notre planète, pourquoi croître plus vite? Pour liquider en 30 ans au lieu de 50 nos réserves de carburants fossiles? Pour éradiquer en un siècle au lieu de deux ce qui reste de forêts sur Terre?
La contestation du bien-fondé de cette course à la croissance prend de l’ampleur d’abord avec la notion de développement durable, puis celle de décroissance durable, développée par Nicholas Georgescu-Roegen, où la croissance du bien-être remplacerait avantageusement celle de la production et de la consommation. Où un frugalité volontaire permettrait de diminuer la consommation de matières premières. Où des échanges de services gratuits prendraient le relais d’institutions défaillantes. Et où la performance d’un pays se mesurerait non seulement à son dynamisme économique mais aussi à la santé de ses habitants, la qualité de son environnement, le respect de sa culture etc. Bref une société où le Bonheur National Brut – ou encore l’IDH indice de développement humain comme le suggère Eric sur son blog – remplacerait avantageusement le PIB. Enthousiasmant, non?
Malheureusement je crains que cette belle idée ne soit un miroir aux alouettes pour trois raisons.
D’abord la croissance n’est certes pas suffisante pour diminuer la pauvreté, la précarité et les égalités, c’est évident. Mais elle n’en reste pas moins une condition nécessaire. Le chômage par exemple, ne régresse que si des emplois se créent, et il faut bien que ces emplois soient financés d’une manière ou d’une autre, soit par le secteur privé (donc la consommation), soit par le public. Comme les largesses de l’Etat dépendent de la vigueur de son secteur privé on est revenu à la case départ: pas de travail sans croissance.
Par ailleurs, la croissance de l’économie finance le socle même des services publics. Les instituteurs, policiers, juges, cantonniers, pompiers etc. ne se paient pas de bonheur national brut. Et l’on ne peut fournir d’aides aux plus pauvres que s’il y a des plus riches pour y contribuer. Pas de redistribution sans richesse. Le troc entre citoyens volontaires ne contribue pas à la solidarité publique au-delà de son strict périmètre. La sortie de l' »économicisation » vantée par les tenants d’une décroissance responsable, représente certes une généreuse voie de secours à des situations individuelles, mais ne constitue pas une alternative à la solidarité institutionnelle.
Enfin pour trouver des moyens de ne pas épuiser les ressources de notre planète, la frugalité-des-occidentaux-devenus-miraculeusement-sages ne suffira pas. Les innovations technologiques liées aux énergies renouvelables permettront-elles à la fois d’assurer un minimum de bien-être pour tous et la préservation des ressources rares (eau, matières premières, écosystème…)? Nul ne le sait et l’on peut en douter. Par contre, il me semble à peu près certain que sans innovation technologique on n’aura ni l’un ni l’autre. Pas de développement de la planète sans innovation. Pas d’innovation sans argent. Pas d’argent sans croissance.
La croissance ne garantit pas d’être soutenable, au contraire. Par contre je suis convaincu que la décroissance garantit de ne pas l’être. Durablement.
Références:
La Face cachée de la décroissance, Cyril Di Méo, L’Harmattan
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