Faut-il se tester pour mieux apprendre?

Dans mon dernier billet, je vous parlais de la “théorie de la reconsolidation”, selon laquelle il n’y aurait pas de différence de nature entre l’acte de se remémorer un souvenir et celui de l’enregistrer en mémoire. Evoquer mentalement une information qu’on garde en mémoire refabriquerait de nouveau le souvenir de cette information et ce serait l’occasion idéale pour modifier ce souvenir, l’atténuer voire même de le supprimer si vous vous appelez Jim Carrey.  Mais à l’inverse, si cette hypothèse est exacte, se rappeler certaines connaissances devrait logiquement consolider la mémorisation à long terme. Or en me baladant sur le site du Collège de France je suis tombé par hasard sur la mise à l’épreuve expérimentale de cette  hypothèse par des psychologues américains qui étudiaient l’efficacité des méthodes pédagogiques pour apprendre.

A l’école, les contrôles de connaissance ne servent qu’à mesurer si les élèves ont bien appris leurs leçons, rien de plus. Demandez donc aux élèves s’ils leur trouvent la moindre vertu pédagogique! Des chercheurs de l’université de St Louis, aux Etats-Unis, ont pourtant cherché à savoir si ces tests de connaissance aidaient les élèves à mémoriser des informations. Ils ont donc conçu une épreuve de mémorisation de cinquante mots appartenant à 10 catégories différentes. Les élèves-cobayes travaillaient sur ces listes de mots pendant la même durée mais selon trois modalités mélangeant des périodes d’études (S pour Study) et de tests (T).

On pourrait croire la multiplication des tests au détriment des périodes d’études aura nui sur la performance des élèves. En fait les résultats des tests entre les groupes 2 et 3 ont été très similaires comme si l’apprentissage n’était pas affecté par le nombre de tests. On a ensuite testé les élèves 48H plus tard et là surprise: leur performance était directement liée au nombre de tests qu’ils avaient subi. Le troisième groupe, celui qui avait sacrifié la moitié de son temps à faire des tests, réussit deux fois mieux que le premier groupe qui avait bachoté tout le temps sans faire aucun test.

Adapté de Zaromb et Roediger (conférence au Collège de France, janvier 2010, source pdf)

 

Il semble donc que tester ses connaissance facilite l’assimilation à moyen terme de ce qu’on vient d’apprendre. Il n’est pas idiot de se tester, même quand on n’a pas fini d’apprendre sa leçon! Mais que tester? La méthode classique consiste à apprendre toute sa leçon, à vérifier que l’on a mémorisé, à réviser ce qu’on ne sait pas encore très bien, retester ces points particuliers etc jusqu’à ce qu’il ne reste rien à tester car tout semble assimilé. Ca semble tomber sous le sens, mais nos chercheurs se sont quand même interrogés sur l’efficacité de cette méthode. Ils ont donc fait apprendre 40 mots en Swahili à des étudiants selon différentes modalités où l’on révisait/testait tantôt toute la liste (S, T), tantôt uniquement ce qui n’était pas mémorisé (Sn, Tn). En combinant toutes les possibilités, cela donne quatre modalités possibles.

Adapté de Zaromb et Roediger (conférence au Collège de France, janvier 2010, source pdf)

Pendant l’apprentissage, les résultats des tests sont à peu près équivalents dans les quatre conditions (graphe de gauche). Par contre une semaine plus tard, les résultats sont incroyablement contrastés (graphe de droite). Le fait d’avoir testé toute la liste améliore considérablement la performance (80% de mémorisation contre moins de 35%). Paradoxalement la méthode de révision importe peu: les étudiants dans la condition STSTn ont plus révisé que ceux de la condition STSnT et ont pourtant moins bien mémorisé les mots. Si vous voulez faire le test, c’est facile il est en ligne ici!

Il semble donc qu’il soit plus efficace de tester à de nombreuses reprises toutes ses connaissances, y compris celles-que l’on croit avoir bien assimilées, plutôt que de réviser intensément. Illustration éclatante, me semble-t-il, de la théorie de la reconsolidation qui assimile le processus cérébral de remémorisation à celui de la fabrication du souvenir. Ce résultat est complètement contre-intuitif: quand après la séance initiale, on a demandé aux étudiants d’estimer leur future performance (la semaine suivante) ils l’ont tous évaluée à environ 50%, quelque soit leur condition personnelle d’apprentissage. Décidément, en matière de pédagogie les impressions sont parfois trompeuses. Et si avant de se lancer dans une nième réforme de l’éducation nationale, on commençait par faire ce genre d’études concrètes pour savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas?

Source: 
Henri Roediger, Mechanisms of memory: enhancing retention through repeated retrieval (conférence au Collège de France, Janvier 2010)

Billet connexe:
Eternal sunshine of the spotless rat: portant sur l’autre versant de la théorie de la reconsolidation (comment oublier)

 

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