Dernier épisode de ma série sur la température…
Maintenant que vous avez compris qu’entropie, manque d’information et désordre d’un système, sont trois façons de désigner la même chose il est intéressant de revenir à la question des températures négatives sous un angle un peu différent. Le lien entre entropie, énergie et température permet en effet de comprendre (en vrac) pourquoi l’information a un coût énergétique, pour quelle raison les états organisés de la matière apparaissent toujours aux basses températures, et pourquoi les châteaux de cartes sont si difficiles à construire.
Quand l’équation parle!
On a vu dans le dernier billet que la température caractérise la façon dont l’entropie d’un système varie lorsqu’il reçoit de l’énergie: . Cette équation qui est LA définition de la température raconte plein de choses intéressantes.
Puisque l’entropie désigne la quantité d’information manquante qu’on a sur un système, la température peut être interprétée comme étant le coût énergétique de l’information. On peut en effet lire le membre de droite de l’équation comme la quantité (minimale) d’énergie nécessaire pour obtenir une information supplémentaire sur le système (= diminuer l’entropie d’une unité). Pas vraiment intuitif! Mais ça permet de mieux comprendre pourquoi les lois de la thermodynamique intéressent aussi bien les ingénieurs que les informaticiens ou les économistes.
Vous êtes vous déjà demandé pourquoi un corps ne devient cristallin magnétisé, superconducteur etc. qu’en dessous d’une température limite et jamais au-dessus? Ces états intéressants ne s’observent que pour des systèmes suffisamment froids.
L’explication est inscrite dans notre fameuse équation: plus le système est ordonné, plus il est prédictible (basse entropie), donc plus l’information y est facilement accessible, donc généralement sa température est faible (puisqu’elle représente le coût énergétique de cette information). Le fait qu’une brisure de symétrie s’obtient toujours quand on abaisse la température d’un système et jamais quand on l’augmente n’est pas due à une mystérieuse loi de la physique. Ce n’est qu’une conséquence mathématique de notre définition de ce qu’est la température!
L’équation traduit la façon dont un système se « désorganise » à mesure qu’il acquiert de l’énergie:
La pente de la courbe est l’inverse de la température (1/T) qui est positive en temps normal. Traduction en français: l’entropie d’un système augmente généralement quand il gagne de l’énergie. A l’extrême gauche de la courbe, l’énergie et l’entropie sont donc minimales. Or on vient de voir que cette situation correspond aux basses températures donc à une pente (en 1/T) très forte. Traduction: le moindre apport d’énergie peut bouleverser un ordre (trop) parfait. Traduction de la traduction: il suffit d’une pichenette pour écrouler un beau château de cartes…
Quand la température s’élève, l’énergie augmente mais la croissance de l’entropie est de moins en moins rapide. Ca se comprend intuitivement: plus le désordre est grand, plus il est difficile d’en créer davantage. Ou dit dans l’autre sens, il est difficile (=énergétiquement coûteux) de tirer la moindre information d’un système complètement chaotique.
Pour résumer, quand on alimente un système avec de l’énergie, son entropie croît fortement au début puis de moins en moins. Un peu comme lorsqu’en voiture on accélère pied au plancher: on gagne beaucoup de vitesse au début puis de moins en moins lorsqu’on va déjà très vite. La vitesse est analogue à l’entropie et l’accélérateur joue le rôle de l’énergie apportée au système.
Les températures négatives
Que signifie maintenant une température « négative »? En théorie, c’est simple: ce serait un système qui s’ordonnerait de plus en plus à mesure qu’il gagne de l’énergie. Pour l’imaginer, prenez un morceau de fer. Le fer est « paramagnétique », c’est-à-dire qu’il ne s’aimante qu’en présence d’un champ magnétique extérieur. Chaque atome de fer se comporte comme un petit aimant (on appelle ça son spin magnétique) libre de s’orienter dans n’importe quel sens. Quand il n’y a pas de champ extérieur, les effets de ces micro-champs se compensent les uns les autres et le bout de fer n’est pas aimanté. Si par contre on le plonge dans un champ magnétique extérieur, un aimant par exemple, chaque atome minimise spontanément son énergie en orientant son spin dans le même sens que le champ. Le morceau de fer se comporte alors comme un aimant. L’énergie magnétique du système est alors minimale.
Si l’on oublie pour l’instant l’agitation moléculaires, on peut définir une entropie « magnétique » qui ne dépend que des arrangements des spins des atomes. Lorsque tous les spins sont alignés avec le champ extérieur, l’état des atomes est parfaitement connu, l’entropie est minimale. Il faut fournir de l’énergie pour modifier l’orientation de leur spin. A l’inverse, l’entropie maximale s’obtient quand les spins sont orientés de manière parfaitement aléatoire; le morceau de fer est alors complètement démagnétisé.
Mais il y a une autre situation dans laquelle l’entropie est minimale: c’est lorsque tous les spins sont tous orientés de la même façon, mais dans le sens opposé au champ extérieur. L’énergie du système est alors à son maximum. Si on trace la courbe liant l’entropie à l’énergie ça donne ça: La pente est négative à droite de la courbe. Mais rappelez-vous, cette pente représente (l’inverse de) la température « magnétique » du système (à ne pas confondre avec sa température « thermique ») qui est donc négative!
Froid ou chaud?
Les atomes ont toujours tendance à gagner en entropie. Quand leur température est positive, ils absorbent goulûment toute l’énergie qu’ils peuvent pour monter sur la partie gauche de la courbe. C’est la situation normale: un système « froid » absorbe toute l’énergie à sa disposition. Mais quand la température des atomes est négative et qu’ils sont sur la partie droite de la courbe, ils ont au contraire tendance à céder leur énergie dès qu’ils le peuvent, toujours pour augmenter leur entropie et grimper en haut de la courbe. Un système à température négative a donc tendance à fournir de l’énergie à l’extérieur. C’est la définition même d’un système très « chaud »! Une température négative est bien plus « chaude » qu’une température positive. Une petite aspirine peut-être?
Dans la réalité les choses ne sont pas si simples: les atomes de fer vibrent beaucoup et s’échangent de l’énergie en permanence; Du coup la température magnétique n’est que très fugacement distincte de la température thermique classique qui, elle, reste positive. Malgré ces difficultés pratiques, des physiciens ont réussi dès 1951 à reconstituer une température « magnétique » négative sur ce principe de base. Fabriquer une température « thermique » négative est une autre paire de manche (pour les raisons indiquées dans le premier billet sur ce sujet) et il aura fallu attendre 62 ans pour y parvenir!
Voilà, je crois que je suis au bout de tout ce que je voulais vous raconter sur ces histoires de températures négatives et d’entropie. La prochaine fois on reviendra à des trucs un peu moins hardcore, promis!
Billets connexes
Les deux billets précédents sur le thème des températures négatives et de l’entropie
Le principe de moindre action (billet remise en forme tout récemment)
La cosmologie et les brisures de symétrie
6 comments for “Entropie et température”