Leonard Susskind n’est pas seulement un des grands physiciens du moment, ténors de la théorie des cordes et des « multivers », c’est aussi un extraordinaire pédagogue. En particulier son cours de cosmologie (disponibles en podcast) est un petit bijou de vulgarisation. Cette semaine voici par exemple comment il retrouve l’équation de l’univers (rien que ça!) en n’utilisant que des notions de physique classique (niveau Lycée).
Chapitre 1: l’équation de l’univers
L’histoire commence au début des années 1920, lorsque l’astronome Edwin Hubble découvre avec les tout nouveaux téléscopes de l’époque, que ce que l’on appelait des nébuleuses (celle de Trifide à gauche) correspondaient en réalité à d’autres galaxies que la nôtre, à des centaines de millions d’années lumière de nous.
Il découvre au passage un truc étrange: toutes ces galaxies semblent s’éloigner de nous à une vitesse qui est proportionnelle à leur éloignement.
Vous connaissez sans doute l’interprétation de cette bizarrerie: ce n’est pas que nous sommes au centre de l’Univers, mais plutôt que la trame de l’univers gonfle comme un ballon de baudruche sur lequel on aurait placé des fourmis (représentant les galaxies) pas très mobiles. Quand on gonfle le ballon-univers, chaque fourmi a l’impression que les autres fourmis s’éloignent d’elle à une vitesse proportionnelle à leur distance. Sauf à sauter du ballon et à regarder son volume gonfler, elle ne se rend pas compte que son monde est en train de se dilater. On soupçonne qu’il se passe un phénomène semblable avec notre univers mais en 3D cette fois. C’est plus difficile à visualiser puisque nous n’avons pas de quatrième dimension pour l’observer de l’extérieur. Une autre analogie parlante est celle du cake (=l’univers) aux raisins (les galaxies) qui gonfle quand il cuit.
Une constante qui n’en est pas une…
C’est de cette observation que Hubble a dérivé sa fameuse constante (même si le Belge Lemaître l’aurait semble-t-il découvert avant lui). Il suffit de supposer qu’à très grande échelle (au-delà de 100 millions d’années-lumière) les galaxies sont distribuées de façon homogène dans toutes les directions. Pour simplifier on se place sur un seul axe (en dimension 1) et on numérote les galaxies de 1 à X. La galaxie X (la Xieme par rapport à nous) est à une distance d = aX, a étant la distance moyenne entre deux galaxies. Comme X est constant (c’est le numéro de la galaxie), sa vitesse de fuite est ȧX (en notant ȧ= da/dt la vitesse de dilatation de l’espace)
L’observation de Hubble, à savoir que la vitesse de fuite est proportionnelle à la distance, signifie que le taux de dilatation de l’espace, ȧX/aX = ȧ/a est le même à un instant donné partout dans l’espace. C’est ce qu’on appelle la constante de Hubble H = ȧ/a. Mais le mot « constante » est piégeux, car rien n’empêche H de varier dans le temps, de même que le ballon peut être gonflé à des rythmes différents dans le temps. La constante (spatiale) de Hubble n’est pas une constante (temporelle)!
[En faisant ce raisonnement, j’ignore le fait que ce que l’on observe d’une galaxie lointaine n’est pas sa vitesse d’éloignement actuelle, mais celle qu’elle avait dans le passé, le temps que son image nous arrive à la vitesse de la lumière.Le fait que la constante de Hubble nous semble vraiment une constante montre que le rythme d’expansion de l’univers n’a pas beaucoup varié depuis plusieurs milliards d’années]
Chapitre 2: l’équation magique de l’univers
Même pas peur, vous allez voir c’est pas compliqué. Restons sur Terre (ce serait dur de faire autrement) et supposons toujours que l’univers est homogène et isotrope (c’est-à-dire pareil dans toutes les directions). Prenons une galaxie X de masse m, située loin de nous (à une distance aX) et n’ayant pas un mouvement particulier par rapport à nous, hormis celui d’être entraîné par la dilatation de l’espace dont on vient de parler. Sa vitesse de fuite apparente vaut donc ȧX et son énergie cinétique vaut Ec= ½ mȧ²X².
Calculons maintenant l’énergie potentielle Ep de cette galaxie. On commence par calculer la force gravitationnelle qu’elle subit.
L’astuce consiste à imaginer que la galaxie X est à la surface d’une sphère imaginaire centrée sur nous. Notre galaxie subit la combinaison de deux forces d’attraction:
1) celle de la matière contenue dans la sphère imaginaire
2) celle située à l’extérieur de la sphère.
Regardons ce que valent chacune de ces deux forces
1) La masse M à l’intérieur de la sphère imaginaire exerce la même attraction sur X que si elle était entièrement concentrée en son centre.
Elle exerce donc une force égale à F= GmM/(aX)²
2) Pour ce qui concerne l’influence de l’extérieur de la sphère sur la galaxie, il faut savoir qu’une masse située à l’intérieur d’une couche sphérique de matière ne subit aucune force gravitationnelle de la part de celle-ci, de même qu’une charge électrique ne subit aucune force électrostatique à l’intérieur d’une sphère chargée électriquement. Pour les furieux, voici la démonstration, qu’on attribue d’habitude à Gauss même si Newton l’avait découvert bien avant lui pour la gravitation (le raisonnement vaut pour toutes les forces en 1/r²):
La galaxie X, située à la limite de la sphère imaginaire ne subit donc aucune attraction de la part de la matière située à l’extérieur de cette sphère. Elle n’est donc soumise qu’à l’attraction de la masse de la sphère imaginaire F= GmM/(aX)² et son énergie potentielle vaut donc Ep = -GmM/aX (le signe « moins » provient du fait que cette énergie est maximale quand la galaxie est très éloignée). La densité de matière ρ étant constante (car l’univers est homogène) on peut écrire ça autrement:
L’énergie totale de la galaxie vaut
et elle ne dépend que de m et de X, pas du temps, Pour que ce soit possible, l’expression entre crochet doit être une constante, ce qu’on exprime d’habitude sous la forme:
Voilà! Vous avez l’équation de l’univers appelée aussi équation de Friedman-Lemaître-Robertson-Walker parce qu’elle fut découverte à plusieurs reprises dans les années 1920-1930 à partir de la toute nouvelle théorie d’Einstein, sous une forme bien plus compliquée (dont je serais bien incapable de vous expliquer la correspondance terme à terme avec la précédente) qui ressemble plutôt à ça:
Comme vous le voyez, il n’y a en réalité pas vraiment besoin de toute l’artillerie de la relativité générale pour trouver l’idée générale. Comment se fait-il que personne n’ait découvert plus tôt la formulation simplifiée de cette équation, en utilisant les lois de la bonne vieille mécanique de Newton? Il faut croire que l’idée même de la dilatation de l’espace était trop inimaginable pour que quiconque se lance dans le bricolage géométrique que je viens de vous raconter…
Promis, la prochaine fois je vous explique ce que raconte cette mystérieuse égalité (la première, pas la compliquée!). C’est par ici…
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