Vous avez dû vous en rendre compte, j’adore l’idée qu’on puisse expliquer les lois de la physique par la seule force des maths, en n’utilisant que son imagination pour seul outil de laboratoire. Je vous ai raconté dans ce billet comment on déduit les lois de la relativité restreintes de quelques hypothèses raisonnables sur l’espace et le temps. Et dans celui-ci comment Planck comprit le caractère granulaire de la lumière à partir d’une simple expérience de pensée et d’un gros calcul mathématique.
J’ai récemment découvert grâce aux cours en ligne de Leonard Susskind (le pape de la théorie des cordes qui se trouve être aussi un vulgarisateur de génie), que le caractère discret de l’énergie des particules élémentaires se déduit directement des principes de la physique statistique. Pas besoin d’appareillage compliqué, il suffit d’une expérience de pensée assez simple et d’un peu de beaucoup de maths pour comprendre le phénomène. Mais pas de panique, amis mathophobes, j’ai rangé soigneusement toutes les équations (ici) pour ne pas polluer ce billet avec des formules peu ragoutantes. C’est parti, vous allez voir c’est très court…
L’impasse du modèle classique en physique statistique
On avait vu dans ce billet sur l’entropie que dans un gaz à l’équilibre, l’entropie est maximale lorsque le niveau d’énergie des molécules suit une loi statistique exponentielle (la loi de Boltzmann pour ceux qui suivent). La probabilité pour qu’une molécule ait l’énergie E est proportionnelle à e-βE, β étant l’inverse de la température. A partir de cette formule, on peut calculer toutes les grandeurs thermodynamiques du système: température, énergie, entropie, etc.
Si l’on suppose que le gaz n’est composé que de particules ponctuelles qui ne subissent aucune autre interaction que celle de leurs chocs mutuels, l’énergie de chaque particule se réduit à son énergie de translation.
En appliquant la méthode que je viens de décrire, on trouve que l’énergie moyenne de chaque particule vaut <E>=3/2 T. Elle ne dépend donc que de la température et le facteur 3 vient du nombre de degrés de libertés que possède chaque particule pour se déplacer.
Imaginons maintenant non plus des particules ponctuelles, mais des molécules formées de deux atomes en orbite fixe l’un autour de l’autre. Non seulement notre molécule se déplace dans l’espace (l’énergie de déplacement calculée précédemment), mais elle tourne aussi sur elle-même (énergie de rotation). Si on considère pour simplifier qu’elle tourne dans un plan, elle a donc un degré de liberté supplémentaire (deux si elle tourne dans l’espace):
On peut faire le même calcul que précédemment pour calculer son énergie moyenne. Et là, surprise. L’énergie de rotation moyenne vaut 1/2 T quelle que soit la taille des orbite ou la masse de l’atome satellite. Dans ce modèle, le moindre électron en orbite autour d’un noyau modifie radicalement l’énergie moyenne de la molécule. Bizarre, bizarre! Le résultat est d’autant plus étrange qu’on obtient la même bizarrerie si on suppose que la molécule vibre par exemple, même très très peu. Il y a manifestement un bug dans le modèle, mais où?
Le miracle des solutions discrètes
Pour résoudre le paradoxe on doit renoncer à l’hypothèse que l’énergie de rotation de la molécule peut varier de façon continue. Si l’on suppose que son moment cinétique est une variable discrète et non pas continue, le calcul se modifie radicalement, même s’il n’y a qu’un écart infime entre deux niveaux consécutifs! On voit alors apparaître deux cas de figure:
- A haute température, le moindre degré de liberté finit effectivement par augmenter l’énergie moyenne du gaz, comme le prédit le modèle classique.
- A basse température c’est très différent: l’énergie de rotation moyenne qu’on obtient dépend du moment d’inertie de la molécule ce qui est quand même plus conforme à l’intuition: un électron de plus ou de moins ne change pas l’énergie moyenne d’une molécule. Et on trouve un résultat analogue pour un système de deux atomes oscillants l’un vers l’autre…
Bref le paradoxe né des équations de la physique statistique se dissipe dès que l’on renonce à l’hypothèse d’un monde continu, exactement comme Planck avait résolu le problème du corps noir en supposant que l’énergie lumineuse était quantifiée. Sauf que dans le cas présent, les incohérences du modèle continu de la physique statistique n’ont été (à ma connaissance) découvertes que bien après la découverte de la physique quantique. On a donc raté l’occasion de « prouver » que la nature discrète de la matière naît directement de la magie des mathématiques. Elle émerge des subtiles différences algébriques qui existent entre les ensembles dénombrables et ceux qui sont continus. Platon aurait été aux anges s’il avait su…
Pour aller plus loin:
Le cours de Leonard Susskind sur la physique statistique (lecture 5)
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