Biologie du maquillage

Le concours des meilleures illusions optiques 2009 a récompensé cette année d’exceptionnelles créations (regardez l’illusion de la balle qui tourne en particulier, génial). Le troisième prix, qu’on doit à Richard Russell, chercheur à Harvard, a suscité pas mal de curiosités, reprises sur Rue89 et par Tom Roud. La voici: saurez-vous distinguer dans ces deux photos où est la fille et où est le garçon?

Vous aurez sans doute choisi la photo de droite pour être celle de la fille… et pourtant il s’agit de la même photo! Simplement, sur l’une on a éclairci par Photoshop la peau pour augmenter le contraste des yeux et des lèvres et hop! vous avez un visage plus féminin! Bon, mais est-ce vraiment le contraste qui fait la différence, ou simplement la clarté de la peau? La question est d’autant plus pertinente que les filles ont naturellement un teint plus clair que les hommes de même origine. Pour en avoir le cœur net, Russell a donc encore fait joujou avec Photoshop, mais cette fois sans toucher à la couleur de peau:

Clair non? On a l’impression que le visage de droite est maquillé, ce qui lui donne un aspect féminin évident. Ce n’est donc pas tant la couleur de peau qui donne l’aspect féminin à un visage, mais son contraste avec les yeux et la bouche. Ouf! Mesdames vous n’êtes pas obligées de rester à l’ombre pour garder un teint pâle. Par contre, vous avez effectivement intérêt à vous maquiller. En comparant les photographies d’étudiantes avant et après maquillage (ci-contre), Russell a montré expérimentalement ce que toutes les femmes savent: le rouge à lèvres et le mascara augmentent considérablement le contraste avec la peau.

Alors, Nature ou Culture? Comme le demande Pascal Riché dans son blog, les femmes se maquillent-elles pour accroître le contraste de leur visage et paraître plus féminines? Ou est-ce parce qu’on a pris l’habitude de les voir maquillées qu’un contraste important dénote une certaine féminité sur un visage? Pour en avoir le cœur net, Russell a (encore!) sorti son appareil photo pour comparer les visages de 118 étudiants, garçons et filles -non maquillées bien sûr- de type occidental ou asiatiques. L’analyse est sans appel: les visages des filles présentent naturellement un contraste beaucoup plus marqué quelle que soit l’origine ethnique.



En renforçant le contaste yeux-bouches, le maquillage renforcerait donc chez les femmes une caractéristique féminine innée. De même, s’épiler la partie basse des sourcils permet d’un seul geste, d’améliorer deux autres traits typiquement féminins: des sourcils plus fins et une plus grande distance entre les yeux et les sourcils.

Cette explication semble en tous cas cohérente avec les études montrant l’influence du taux d’œstrogènes sur l’attractivité d’un visage féminin. Dans une expérience de 2005 Miriam Law Smith a demandé à 15 hommes et 15 femmes de juger de la fertilité, la santé et l’attractivité de 59 jeunes filles, à partir de leur photo. Leurs évaluations est sans appel: plus une fille a un taux d’œstrogènes naturellement élevé (à cycle menstruel comparable), plus elle paraît fertile, attractive et saine. Pour compléter ce test, Miriam Law a réalisé deux visages de synthèse à partir de tous ces visages, l’un correspondant à un maximum d’œstrogènes et l’autre à un minimum. Lequel des deux trouvez-vous le plus attirant? Celui de gauche, réalisé à partir des 10 personnes aux taux d’œstrogènes les plus élevés, devrait normalement recueillir votre préférence.

Ce résultat est intéressant car au moment de la puberté, les œstrogènes influent justement sur les modifications du physique des adolescentes. Ce sont ces hormones qui favorisent l’épaississement des lèvres, freinent le développement des os de la mâchoire, du menton et du nez, arrondissent la forme du visage. Tout comme l’arrondi des fesses ou la largeur des hanches, elles aussi stimulées par les œstrogènes. La testostérone joue un effet similaire chez les hommes et aboutit à un menton plus carré, des épaules plus développées etc.

Pour Law, la beauté des femmes serait donc leur manière de proclamer leur fertilité à la face du monde! Des lèvres pulpeuses, un petit menton, des pommettes hautes et de grands yeux, signes d’un taux d’œstrogènes élevé, seraient la promesse d’une progéniture abondante et saine.
Si l’on suit cette hypothèse jusqu’au bout, un bon maquillage servirait donc à rehausser la promesse de fertilité, un peu comme une publicité.

Alicia Silverstone, avant et après maquillage (tiré de ce blog)
Mais attention! La meilleure pub est celle qui n’a pas l’air d’en être une et le meilleur maquillage est celui qui ne se voit pas. Un maquillage trop voyant est aussi inefficace qu’une réclame outrancière.

J’ouvre une parenthèse: il y aurait donc bien une part d’inné dans la notion de beauté. Judith Langlois, de l’Université du Texas, a montré que les nouveaux-nés manifestaient leur préférence dès deux mois pour des photos de visages jugés très attractifs par des adultes, indépendamment de l’âge ou du sexe de ces visages. Autant dire que notre préférence pour Nicole Kidman (ou Brad Pitt) est gravée dans le dur dans notre circuiterie neuronale après des milliers d’années d’évolution. En poussant l’idée jusqu’au bout et en compilant les proportions du visage préférées par 300 personnes, le Professeur Cohen-Or’s, de l’université de Tel-Aviv, a même mis au point une machine à embellir les visages!

Pour en revenir au maquillage, il y a évidemment beaucoup d’autres raisons de se maquiller que le simple désir de « vendre sa fertilité » aux mâles du coin de la rue. L’estime de soi par exemple : des chercheurs japonais ont récemment observé par imagerie cérébrale ce qui passait dans la tête du femme quand elle se maquille. Ils s’attendaient à voir s’activer les circuits classiques de la récompense neuronale après la séance de maquillage, une fois que la femme constate le résultat. A leur grande surprise, ils ont détecté cette jubilation des neurones AVANT la séance de maquillage, au moment de sa préparation. Comme si, au saut du lit, le plus grand plaisir était surtout d’anticiper la métamorphose de son look.

Sources:
A sex difference in facial contrast and its exageration by cosmetics, R Russell (à paraître)
Do you love this face, Discover Magazine (fev 2000)
Voir aussi chez Dr Goulu l’excellente vidéo de Daniel Dennett, sur pourquoi on aime le sucré, le sexy et le drôle.

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Vraiment sans gène: pour ne pas laisser croire avec ce billet que tout est génétique dans les critères de beauté!

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